Peu de gens aujourd’hui connaissent son nom, et pourtant, il est pour moi un des plus grands auteurs de littérature dite « fantastique ». Romancier, poète, journaliste, polémiste, Barbey d’Aurevilly inaugure le dandysme bien avant Baudelaire et contribue, en tant que critique littéraire, à faire connaître Stendhal et redécouvrir Balzac. Connu pour son extravagance, son oeuvre est fortement marquée par une vision du catholicisme qui influencera profondément par la suite, l’écrivain Georges Bernanos.

Né à Saint-Sauveur le Vicomte, le 2 novembre 1808 (« le jour des morts »), Barbey d’Aurevilly manque succomber à une hémorragie. Pour lui, cette naissance sera le signe de la non-acceptation du monde qui l’entoure. Elle frappera à tout jamais son imagination débordante. 

« J’ai toujours cru que le jour de ma naissance répandrait une funeste influence sur ma vie et sur ma pensée. »

A sa mort, le 23 avril 1889, l’écrivain Péladan, un de ses plus fidèles disciples, lui rendit hommage en ces termes :

« Le Connétable des Lettres est mort, je ne dirai plus « maître » à personne en ce monde ! »

Il faudra pourtant attendre le milieu du XXème siècle et les études de Jacques Petit pour que celui dont on affublait le nom de l’adjectif « maudit » trouve enfin sa place parmi les plus grands. Jusque là, peu de gens avaient compris l’exceptionnelle valeur de ses oeuvres. Il suffit de consulter ses Pensées détachées et de lire :

« Je ne crois qu’à ce qui est rare : les grands esprits, les grands caractères, les grands hommes. Qu’importe le reste ! Le plus grand éloge qu’on puisse faire d’un diamant, c’est de l’appeler un solitaire. »

pour comprendre la personnalité d’un être convaincu de son génie, face à une société hostile à ses oeuvres. 

Solitaire, Barbey d’Aurevilly l’aura été tout au long de sa vie. Cultivant aussi parfaitement le dandysme que la provocation, c’est au coeur même de ses écrits qu’il s’agit de puiser la source de sa solitude. Toute son oeuvre ne cesse de s’opposer au courant naturaliste en vogue à l’époque. A l’heure où la doctrine consiste à proscrire toute idéalisation du réel, lui, s’inscrit en romancier du surnaturel. Il part en guerre contre le matérialisme ambiant, en renouant avec l’une des traditions du romantisme flamboyant : la littérature fantastique. Son dessein va même beaucoup plus loin, puisqu’il cherche à révéler la présence du surnaturel satanique dans le monde réel. C’en est trop pour la société de son époque, que de toucher au domaine religieux de l’Enfer. Ses oeuvres dégagent toutes un parfum de scandale.

On ne peut toutefois tenter de comprendre Barbey d’Aurevilly, que si l’on s’attache à connaître sa vie. Il faut considérer un être qui dans un premier temps se pose en s’opposant aux valeurs traditionnelles, et revient, au milieu de sa vie, à ces mêmes valeurs, afin de mieux manifester sa révolte. Telle est toute l’ambiguïté d’un personnage obligé de vivre à une époque qui n’est pas la sienne, et qui a bâti son oeuvre pour créer un univers à son image. Comme le dit Philippe Berthier :

« Toute son oeuvre n’est que le refus de ce qu’il a trouvé autour de lui. Or, refaire le monde, c’est accuser Dieu. »

Et accuser Dieu, c’est révéler le Diable, comme l’écrivain saura si bien le faire dans un certain nombre de ses oeuvres : Un prêtre marié, L’Ensorcelée, Une vieille maîtresse, Une histoire sans nom…

Ces écrits ont en commun une structure, à travers laquelle il est aisé de comprendre les relations entre le satanisme et le fantastique. Tous se déroulent en Normandie, pays natal de l’écrivain, terre de prédilection pour les phénomènes surnaturels, atmosphère propice au déchaînement de Satan. Ils dépeignent un certain type de décors, un certain type de personnages, un certain type de rapports entre les êtres. Et ces éléments seuls peuvent nous permettre de saisir pourquoi le Diable semble si tangible dans l’univers aurevillien. D’abord c’est un décor qu’il connaît bien, dont la peinture lui est plus familière : ses intrigues n’en paraissent que plus véridiques. Peuplée de créatures qui entretiennent des rapports plutôt étranges avec le Ciel, hantée par le souvenir de récits légendaires où la superstition rayonne avec véhémence, la Normandie offre aux manifestations surnaturelles un terrain favorable à leur réalisation. Au sein de ses paysages, apparaissent des êtres qui s’inscrivent à un moment de leur existence, en révoltés contre Dieu, parce qu’ils orientent leur destinée en se détournant de lui.

A une époque où il est de bon ton de traiter des problèmes de l’Enfer, nul ne sait donner autant de force démonstrative à l’existence surnaturelle de puissances supérieures qui régissent notre monde. Pour cet écrivain qui pense que le monde est régi par un principe dualiste opposant les forces du Bien aux forces du Mal, un cycle diabolique est indispensable pour rappeler sans cesse à l’homme en quelles circonstances il sombre dans les abîmes nocturnes. 

Ce qui est réellement subtil dans la conception aurévillienne de l’univers, c’est qu’une double interprétation est permise selon que le lecteur est croyant ou athée. Celui-ci peut soit s’en tenir aux principes religieux, soit concevoir une explication toute psychologique aux agissements néfastes de la conscience. Ainsi, personne n’échappe à la révélation des désordres du monde.

C’est là que Barbey d’Aurevilly dérange : si nul n’est épargné, c’est que Dieu et Satan ne se situent pas au-dessus de l’homme mais en lui.

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